Sunday, August 13, 2006

In memoriam Marion K. (1988-2005) (Editorial du Libre Arverne n°117 - 14 janvier 2005)


Le 3 janvier, Marion est tombée une nouvelle fois dans le coma, la deuxième depuis octobre. La première fois, elle y était restée 15 jours, cette fois-ci, combien de temps ? Marion va mourir bientôt, elle le sait et elle s’y est préparée. Elle a 16 ans, les médecins sont persuadés qu’elle n’en aura jamais 17. J’ai rencontré Marion dans le cadre de mon enquête sur la violence féminine. Habitué à traiter ce genre de cas, j’ai appliqué ma méthode thérapeutique qui a, deo gratias, été une fois encore efficace. Je l’ai vue progressivement s’ouvrir et affronter en face son passé, notamment dans le cadre de ses rapports avec les autres filles, elle qui était paralysée par la honte, cette honte qui l’a dévorée, qui l’a minée de l’intérieur et qui a fini par la tuer. Aux dernières nouvelles, les médecins ne se prononçaient pas, ce qui est rarement bon signe.

On nous bassine à l’école avec l’histoire d’Anne Frank, la petite écrivain si précoce qu’elle réussit à écrire en 1944 un journal avec un modèle de stylo-bille inventé en 1951… Mais une Marion vaut toutes les Anne Frank du monde, car non seulement son calvaire dépasse en horreur tous les récits réels ou apocryphes du Shoah-Business, mais en plus, elle a été victime de la plus cruelle indifférence, non seulement de l’encadrement de l’école, mais aussi de sa propre famille. Dès ses premières années, Marion a été battue par son père. Comme elle était du genre solide, il la bourrait de coups de poing et de coups de ceinturon et la frappait contre le mur en lui hurlant : « Pourquoi tu ne pleures pas ? ». A l’âge de six ans, elle fut violée par son géniteur, le tout sous le regard indifférent de sa mère. On est dans la société de l’enfant-roi, dit-on, mais jamais les enfants n’ont été aussi exposés. Et pour cause, l’enfant est devenu un objet, pire, un produit commercial, que ce soit en version soft, commune, en tant que «cible de campagnes marketing » pour faire acquérir à ses parents le dérisoire et l’inutile, les fringues trucmuches, la console vidéo machin-chose, le CD du groupe tagada-tsoin-tsoin ; ou en version hard, avec les enfants violés, prostitués, sacrifiés, enfants soldats, enfants au travail, fœtus transformés en crème de beauté ou pire… Dans une société où certaines personnes peuvent exterminer en toute liberté (et se faire rembourser par la SS, enfin, la Sécu) un petit être en devenir au motif qu’il gène avec la date des vacances (et les mêmes hurleront contre ceux qui, comme dans la chanson, « abandonne son clebs au mois d’août en Espagne »), pourquoi se priver et ne pas transformer son enfant en punching-ball ou en déversoir de ses pulsions libidineuses ? Meurtre d’enfant ? Objection monsieur le Juge, « avortement tardif ». Ou « euthanasie précoce », c’est vous qui voyez… Il est intéressant de noter que les viols et meurtres d’enfants coïncident diantrement avec celui de la pornographie et l’entrée dans les mœurs de la libération sexuelle et de l’avortement. Avant 1975, la femme était une mère, maintenant, elle est un objet. On disait jadis qu’elle n’était qu’un ventre. Y a-t-elle gagné en ne devenant qu’un sexe ? La dégringolade est simple : chez un nombre assez important d’individus, la pornographie fonctionne comme la drogue. Là où jadis une athlète allemande avait été privée de sa médaille d’or pour dévoilement de sa poitrine suite au craquage des bretelles de son maillot de bain, on voit maintenant des affiches en pleines rues que l’on aurait pas osé mettre dans une revue cochonne des années soixante ! Résultat, la libido s’étiole. Et comme un nombre conséquent de fumeurs de chichon passent à la colle, puis à l’extasy, puis à l’héroïne parce qu’ils ne ressentent plus les trips si agréables du début, un pornophage va passer du porno soft au porno hard, à toutes les déviances et puis, un jour, il va se dire que, pour retrouver les sensations fortes que la théorie ne peut plus offrir à un sieur guilleri aussi indifférent devant ce qu’on lui propose qu’un attablé trois fois par jour chez Hédiard devant un soufflé de homard sauce Saint-Jacques de chez Auchan, il faut donner du piment en regardant « de l’interdit ». Puis, ensuite, le passage à l’acte… Fourniret, Bodein, West, Huntley, les soldats soviétiques de 1945 et bien sûr, Ted Bundy… Dans une société où tout mâle bipède est inducas in tentationnem, où on lui fourgue de la morue désécaillée pour lui vendre une voiture, des vacances ou même un pot de yaourt, comment ne pas assister aux surchauffes testostéroniennes qui amènent certaines pères (et même certaines mères) à rendre femmes des fillettes qui auraient bien aimé avoir leur vie d’enfants une dizaine d’année de plus…

Outre la violence familiale, Marion a connu aussi le racisme de classe et le racisme tout court. Il ne faut pas croire que les pères abusifs ne se rencontrent que dans le lumpenprolétariat avec les clichés à la Zola du géniteur chômeur et inculte entrant ivre-mort dans la chambre de l’aînée pour y exercer un droit de cuissage familial lui faisant oublier les bigoudis et les varices de bobonne… Non, on viole aussi les enfants dans les milieux aisés quoique, la bonne éducation et l’hypocrisie aidant, chez ces gens-là on violerait plutôt les gosses des autres, dans les pays ou quartiers pauvres. Mais dans notre pauvre monde, l’inversion des valeurs est totale. Car Marion avait une tare supplémentaire : son père n’avait pas que des défauts. Il était travailleur et avait donc un pavillon avec piscine, sur la côte varoise, gagné à la sueur de son front. Marion est bretonne, elle a de longs cheveux auburn et de magnifiques yeux bleus. Dans le sud de plus en plus métissé, c’est lourd à porter. Alors quand en plus on ne vient pas des cités HLM… on est rapidement classé dans le camp des « riches », des « nantis », des « salauds qui vivent de l’exploitation des travailleurs » et autres discours serinés en permanence par les fonctionnaires de l’Education Nationale entre trois grèves et deux arrêts-maladie et par les crypto-fonctionnaires, les ultra-subventionnés des intermittents du spectacle au talent qui l’est encore plus… Comme la pornographie, la haine de classe est criminelle. Marion était moralement détruite par ce qu’on lui faisait et aussi par la mort de son grand-frère Thierry quand elle avait 12 ans. Une proie rêvée pour les petites garces de son club d’athlétisme, originaires de la cité HLM voisine… Semaine après semaine, la barbarie s’installe. Non pas la barbarie masculine, frustre et violente, mais la féminine, autrement plus « raffinée ». Une cabane dans une forêt proche sert de « centre de torture ». En raison de sa « classe sociale » et de son « profil ethnique », Marion doit donc être « punie ». Pendant des semaines, ces trois petites racailles dressées dans la haine démocratique vont s’amuser à la dévêtir entièrement et lui infliger, généralement avec un bâton, des sévices sexuels. Elles iront même jusqu’à l’obliger à s’allonger toute nue sur des hérissons ou des bogues de châtaignes. Devenue boulimique, Marion n’avait qu’une seule fierté, ses magnifiques cheveux auburn qu’elle soignait particulièrement. Un jour, dans son propre pavillon, elle sera entièrement tondue par ses bourreaux. La seule réaction de ses parents sera de lui acheter une casquette pour dissimuler son crâne lisse…

La réputation de Marion arrive au collège. En classe de quatrième, dans son nouvel établissement, elle est tellement terrorisée que, sommée par la professeur principale de venir « se présenter » au tableau, elle souillera son pantalon devant toute la classe. Humiliée, elle subira un harcèlement quotidien. Jusqu’au jour où une trentaine de bêtes fauves des deux sexes la tortureront en toute impunité dans un couloir : brûlures, coups de cutter, sévices sexuels… la seule réaction du proviseur sera d’écrire sur son carnet de notes : « Marion est bien courageuse de travailler au vu de ce qu’elle subit ». Et pour ne pas que l’on m’accuse de racisme, je précise que dans cette affaire, les deux tortionnaires en chef étaient deux « de souche » : Bastien et Angélique. Mais les petites racailles du club d’athlétisme n’ont pas pour autant abandonné leur proie. Marion est traînée de force dans la cité voisine, et dans les caves, les appartements, on la viole et on la torture, parfois un week-end entier. « Je ne sais même plus combien de fois j’ai été violée » m’a-t-elle avoué. Violée, sa meilleure amie l’a été aussi. Elle s’est jetée par la fenêtre… Gravement malade, Marion voit sa santé décliner. Il y a un an, les médecins lui ont dit qu’elle était condamnée. « Quand je serai morte, je serais un ange dis ? » me demandait-elle au mois d’octobre. Oui, petite Marion, tu seras un ange, comme notre petite Jeanne-Marie. La société vous a tuées toutes les deux. Si nous n’avions pas la foi, on pleurerait des larmes de sang. On prendrait le premier fusil venu et on ferait un carnage pour venger nos petites martyres. Mais nous croyons en Dieu, et le Céleste Patron sait ce qu’il fait… « Le soleil se levait sur la terre et Loth entrait à Çoar quand le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu. Cela venait du ciel et du Seigneur. Il bouleversa ces villes, tout le District, tous les habitants des villes et la végétation du sol. La femme de Loth regarda en arrière et elle devint une colonne de sel. Abraham se rendit de bon matin au lieu où il s'était tenu devant le Seigneur, il porta son regard sur Sodome, Gomorrhe et tout le territoire du District; il regarda et vit qu'une fumée montait de la terre comme la fumée d'une fournaise ». Dernière minute : Marion est sortie du coma le 11. Jusqu’à la prochaine fois…

Labels: , ,

0 Comments:

Post a Comment

<< Home