Sunday, August 13, 2006

Un fasciste nommé Albator (Editorial du Libre Arverne n°94 - 05/08/2004)


J’écris ces lignes le dimanche 1er août à 3 heures du matin chez mes parents, chez qui j’ai passé le week-end, ayant été convoqué au tribunal vendredi. La chaleur est tellement étouffante que je n’ai pu trouver le sommeil et je transpire plus qu’un secret d’état en présence d’un journaliste de Minute période beketchienne… Devant l’impossibilité de dormir, je suis allé dans la chambre de mon frère dans l’espoir de trouver un livre intéressant. Je suis tombé par hasard non pas sur un livre, mais sur les 5 DVD de ce qui avait été le dessin-animé culte de ma jeunesse : Albator, datant de 1978, un scénario génial de Leiji Matsumoto, un dessin beaucoup moins génial de Kazuo Komatsubara. Il y avait toute une nostalgie. Je me suis assis dans le salon et j’ai regardé les 42 épisodes. Je revois encore, 26 ans plus tôt, le petit garçon que j’ai été, assis à la même place et regardant son dessin-animé préféré qui passait juste après celui pour les filles, Candy. Dans mes souvenirs d’enfant passés au tamis de l’expérience, Albator m’avait laissé le souvenir d’un dessin-animé ouvertement fasciste. L’occasion était trop belle de confronter mes souvenirs à la réalité. Albator était-il vraiment porteur d’un message fasciste et si oui, cela pouvait expliquer une partie de mes prises de positions actuelles. J’ai regardé les épisodes à la fois avec les yeux d’adulte, de celui que je suis devenu, le Primus du Parti Français Chrétiens, et avec les yeux d’autrefois. C’est comme si nous étions là tous les deux dans la pièce, à 25 ans de différence, un peu comme le père et le fils, sauf que c’est le plus vieux qui est le fruit du plus jeune. Le petit garçon chantonne en chœur avec le générique : « Albator, Albator, capitaine au cœur d’or »… L’adulte hoche la tête : chanson ringarde, musique typique du disco naissant, chanteur : Eric Charden, à la vogue à l’époque, disparu dans les tréfonds intersidéraux de l’oubli. Encore un qui a fini avec Los Ringardos et son nul orchestre à inaugurer l’Intermarché d’Aurillac… Paroles : Didier Barbelivien, d’ordinaire bon parolier. Il a dû essayer de traduire l’original japonais fatalement consternant… L’adulte s’esclaffe sur le dessin, pas bon du tout et l’animation « à la nippone », statique (12 images, parfois 8, à la seconde contre 24 normalement) et les « effets de suspenses » aussi prévisibles qu’une défaite de l’équipe nationale de football de San Marin… Mais en 1978, l’enfant ne voyait que le côté divertissant. A cet âge, on n’a pas le recul, la culture, l’expérience pour lire à travers les lignes.

Passées les considérations sur un dessin qui a moins bien vieilli que le scénario, pour nous attaquer à l’histoire du capitaine Albator, pirate de l’espace. L’enfant que j’ai été a absorbé l’histoire au premier degré, lecture primaire infantile : le gentil, le méchant, le gentil blaste le méchant et voilà. Mais revu 26 ans après, avec mes yeux d’adulte, je m’aperçois qu’il n’y a pas plus fasciste que ce dessin-animé. Le contexte géopolitique d’abord : la Terre est une confédération unie, dirigée par le premier ministre, un incapable corrompu, qui ne pense qu’à jouer au golf, parier au tiercé ou sur les courses de lévriers, faire la grasse matinée, se saouler et accessoirement se faire réélire… au grand désappointement du Ministre de la Sécurité, le bouillant général Vilak, qui comprend au 27e épisode sur 42 (c’est dur à la détente un officier supérieur…) que l’intérêt bien compris des Terriens voulant survivre est de se débarrasser de cette politicaillerie démocrasseuse qui n’a été capable que d’amener la planète à la catastrophe (un gaspillage écologique sans précédent a fait disparaître la plupart des océans et des forêts, on voit d’ailleurs la Statue de la Liberté à New York, l’Arc de Triomphe à Paris et le Mémorial des Présidents américains à moitié détruits et entourés d’immenses buildings). Il mourra en héros dans l’épisode 39, se sacrifiant pour sauver l’Atlantis et tuant la cheftaine des troupes de choc de la reine Sylvidra. Là où l’on frôle le génie, c’est la révélation des méthodes de la ploutocratie libérale pour imposer son régime aux 50 milliards de Terriens : « Toutefois, les seigneurs craignent qu’un sursaut d’orgueil ne pousse un jour l’humanité à relever la tête. Alors par le truchement de l’abêtisseur mondiovisuel, ils bloquent les pensées ». Et l’on voit les gens, vautrés devant la télé, du petit enfant à l’adulte. Pas besoin d’attendre 2980, 2004 c’est déjà cela ! Le professeur Kusuko, spécialiste en archéologie dira, peu avant son assassinat par les Sylvidres au jeune Ramis Valente, dont le père - fameux astronome – avait subi le même sort : « Je vais tenter de rassembler les hommes et de leur faire prendre conscience de la décadence qui engendrera l'écroulement de notre civilisation ». Bien évidemment, personne ne l’écoutera. Une scène de l’épisode 33 le montre bien. Vilak se promène dans la rue et voit des jeunes, mous, oisifs, vautrés assis par terre à regarder la télé ou écouter de la musique, les parasites par excellence dans un monde où l’assistanat est total et où le pain est distribué gratuitement. Un monde de larves et d’amibes. C’est pour défendre ÇA que lui, Vilak, fils d’un héros de guerre tombé au combat, s’est engagé dans l’armée et est censé sacrifier sa vie ? Sa vie, il la sacrifiera pour une cause et des gens qui en vaillent la peine, ceux qui veulent sortir l’humanité de leur torpeur. Ce que pense Vilak, combien de nos paras et de nos légionnaires le pensent ? Quelque part, vous, moi, tous ceux de la grande famille nationaliste, nous sommes tous des « général Vilak ».

La Terre meurt d’incompétence, de lâcheté, de nullité d’un régime politique décadent qui a poussé les gens à ne vivre que pour leur petite télé, leurs petits plaisirs, leurs dérisoires acquis sociaux. Les expressions du Premier Ministre sont toujours les mêmes : « cédons, attendons, on ne peut rien faire à 3 mois des élections… ». Quand les Sylvidres font écraser au Japon une boule de métal revendiquant la propriété de la Terre, un vaste incendie se déclenche. Appelant le capitaine des pompiers, le professeur Valente se voit répondre : « Désolé, c’est l’heure de la pause café, on n’a pas le droit d’intervenir. Il faut que vous adressiez une demande de dérogation exceptionnelle en 15 exemplaires au Premier Ministre ». Plus loin Vilak avait monté un piège parfait à l’astroport pour capturer Albator. Manque de chance, ses troupes n’étaient pas là : c’était leur jour de congé et il n’avait pas le droit de les réquisitionner… De même, chaque fois qu’il demande au Premier Ministre de prendre une décision, ce dernier refuse car soit ce n’est pas le moment, soit il a horreur qu’on le dérange pendant son golf. La mère de Ramis est d’ailleurs morte sur Triton de cette incompétence : ses appels au secours (la base avait un accident industriel nécessitant l’envoi immédiat de renforts) étaient restés vains : Monsieur le Premier Ministre et ses conseillers disputaient une partie de golf capitale à leurs yeux…

Le capitaine Albator est Allemand (Vilak ayant été élevé en Egypte). Il commande le vaisseau pirate Atlantis qui, au vu de sa puissance de feu et de sa ligne est probablement un cuirassé. Atlantis, comme son célèbre homologue allemand de la Seconde Guerre Mondiale. Son capitaine en second, Alfred, officier armurier, est un surdoué des mathématiques, retiré du monde suite à un échec sentimental et dont le seul intérêt dans la vie est les maquettes (on voit dans sa collection un superbe Zero et un Messerschmitt avec les insignes en vigueur dans la Luftwaffe de 1933 à 1945… ). Lors d’une exploration officieuse de l’espace, il a eu affaire aux Sylvidres, des femmes-plantes à l’aspect humain, dirigées de main de maîtresse par la reine Sylvidra qui commande 1 million de soldates et 10 millions de civiles. Matriarcat absolu, il n’y a pas de Sylvidres mâles, même si ses dernières peuvent avoir des rapports charnels avec les humains (l’équipage de l’Atlantis est composé de 37 hommes et 3 femmes : Suzanne la cuisinière, Clio – une extra-terrestre qui est « Madame Albator » et est la musicienne et psychiatre du navire - et Nausicaa, officier supérieur chargé des transmissions et de l’électronique de bord qui deviendra Mme Ramis Valente). Les Sylvidres fuient leur nation détruite et veulent re-coloniser la Terre, qu’elles possédaient jadis, et en exterminer la population présente. Elles s’infiltrent dans tous les rouages de la société, semblent s’y intégrer (car en 2980, nationalisme et racisme n’existent plus) : Yasmine, la jolie secrétaire particulière du Premier Ministre est une Sylvidre, de même que la femme de l’ancien commandant de la Garde, Claude Ovara. Ce personnage est d’ailleurs intéressant, chassé de l’armée pour avoir tué sa femme quand il a sut la vérité, il avait été jadis fort amoureux de Suzanne, la future maître-coq du navire pirate… Vilak, voulant le réintégrer dans l’armée pour rassembler autour de lui les derniers militaires dignes de leur uniforme, Haubara refusera, estimant que c’était trop tard, et attaquera seul l’envahisseur sylvidre. Il mourra en héros et son sacrifice poussera Vilak à intégrer l’Atlantis, conscient qu’agir seul ne mène à rien, sinon mourir comme Ovara et un autre officier, de la marine spatiale celui-là, le capitaine Tornadéo. Dans l’un des premiers épisodes, ils tueront au hasard des Sylvidres sur terre : l’élément féminin d’un couple d’amoureux, une mannequin et quelques dizaines d’autres mais sans aucune efficacité : elles sont plusieurs millions ! Rien de plus inutile et dérisoire que ces «ratonnades de Sylvidres » vite abandonnées.
Ce qui est étonnant dans Albator, c’est le côté non pas purement fasciste mais bel et bien rexiste du dessin-animé. Stellie, la pupille d’Albator, fait ainsi sa prière du soir et demande au « petit Jésus » de protéger son tuteur. Elle incarne la pureté et l’innocence des enfants face à la méchanceté des adultes. A l’opposé, les Sylvidres prient également, mais la maison d’en face… « Que le Diable protège notre Reine Sylvidra » scandent notamment les femmes officiers. Les morts sont enterrés religieusement et Albator apprendra au jeune Ramis ivre de haine contre celles qui ont tué son père qu’un mort se respectait, fusse-t-il une Sylvidre : l’adolescent voulait profaner la tombe de l’une de ces femmes végétales. Le suicide n’est pas admis. Haubara et Yasmine préfèrent la mort au combat à la vie, mais ne se suicident pas, fussent-ils au bord du désespoir. Albator est indubitablement fasciste. Sous le pavillon Totenkopf, il incarne les valeurs de fidélité, de protection des faibles, de défense de la pureté (Stellie), de fidélité à la parole donnée, de combat contre la ploutocratie. Comme les fascistes, Albator, défenseur de la civilisation, est accusé de crimes imaginaires par ceux-là même qui collaborent avec l’envahisseur sylvidre. Florilège sur la pensée éminemment fasciste de notre pirate. Sur les valeurs : « Albator n'est pas homme à renier une promesse. il n'a qu'une parole, fut-ce péril de sa vie! »(épisode 1) ; « Désormais, tu pourras être plus tolérant, c’est la plus grande des vertus. Mais tu ne dois pas pour autant oublier tes convictions. Tu dois t’efforcer de les faire partager aux autres, et de les défendre jusqu’à la mort » (épisode 8) ; « pour vaincre un ennemi, il faut tout connaître de son histoire » (épisode 9) , « nous ne nous battrons pas contre nos frères! » (épisode 13) ; « Nous devons rester libre pour réaliser nos rêves. L’argent est inutile quand on a la liberté et un idéal » (Toshiro, inventeur de l’Atlantis et père de Stellie, épisode 30). Sur la mort : « Réagissez en homme! se révolter devant la mort est négatif » (épisode 3) ; « Mon Dieu, ce jour sera peut être le dernier de notre vie! de toute façon, nous sommes tous prêts à mourir! » (épisode 22) ; « Il est inutile de donner des conseils superflus à un homme qui a choisi l’endroit de sa mort.» (épisode 33). Sur son combat : « Je ne me bats que pour défendre ce que j’ai au fond du cœur! » (épisode 4) ; « Hissez le pavillon noir et que les gens qui se traînent à genoux le voient bien! Qu'ils admirent l'étendard de la révolte! » (épisode 5) ; « Moi, Capitaine Albator, commandant de la seule poignée d’hommes qui n’aient pas basculé dans le pourrissement qui a envahi le cœur avili de tous nos autres frères Terriens » (épisode 10) ; « Mon destin est de me battre désespérément contre ce monstre, mon destin est aussi de n’avoir pas de repos tant que je ne l’aurais pas abattu » (épisode 25). Parmi les rares choses à sauver de la culture du monde, il y a ce dessin-animé. Il faudrait refaire Albator : garder l’histoire mais faire de meilleurs dessins ou mieux, le faire en film. Et, bien entendu, que chaque école primaire d’élite diffuse aux garçons les 42 épisodes. Pendant ce temps, ils échapperont à La Mélodie du bonheur…

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